SAUVAGE

5 septembre 2015 Commentaires fermés sur SAUVAGE

Un missionnaire, coursé par un lion dans la savane africaine, et sentant sa dernière heure venue, adresse cette prière : « Mon Dieu, inspirez à cet animal des pensées chrétiennes ». A ces mots, le lion se met à genou et prie à son tour : « Seigneur, bénissez le repas que je vais prendre … ».

Même dans une historiette, le créateur ne se risque pas à amputer sa créature de ce que Merleau-Ponty nomme la perception sauvage … Comme s’il voulait alerter sur l’étrangeté d’une expérience encore brute parce qu’elle n’aurait pas choisi sa pente, celle qui bâtit un monde – civilisation – ou celle qui le détruit – barbarie -.

Selon la tradition des indiens ojibwé du Canada, nous dit l’ethnologue Basil Johnston, « le monde est d’abord imaginé dans une vision, la « vision primordiale » de Kitche Manitu – le grand esprit, et source de toute chose.

Ayant donné vie, animé sa vision, Kitche Manitu fit les Grandes Lois de la Nature pour le bien-être et l’harmonie de toutes choses et de toutes créatures : « Il y a quatre ordres dans la Création. En premier, le monde physique ; en second, le monde des plantes ; en troisième, celui des animaux ; en dernier, le monde humain.

Tous les quatre sont si intriqués qu’ils constituent la vie et une seule existence. Aucune partie n’est autosuffisante ou complète. L’homme est obligé par cette loi de vivre et d’apprendre des animaux et des plantes, comme les animaux sont dépendants des plantes qui doivent elles-mêmes leur existence et leur subsistance à la terre et au soleil ».

Chacun de nous porte l’écho de cette vision archaïque, de ce monde de nature qui habite plus près de nous que nous-mêmes … C’est cette trace, cette énergie de l’écho du big-bang en moi que j’appelle « sauvage » parce qu’elle dit l’humilité – qui vient de l’humus – du vivant, parce qu’elle échappe à toute prise qui voudrait mettre la main – ou la pensée – dessus, parce que je ne peux l’enclore, parce que les mots eux-mêmes sont à l’étroit pour penser cette trace origine

Paraphrasant Marcel Légaut, ce sauvage est en moi, ne peut être sans moi, mais n’est pas que de moi.

En hébreu ancien, dans le mythe de la création du monde, il est écrit « l’animal de la terre <khaïat haaretz> » … traduit par le mot « sauvage ».

Le mot khaïat vient de khaï qui signifie « vie » ; de ce fait, on dit aussi « le vivant de la terre ». En cassant ce mot khaïat comme on casse l’os pour en sucer la moelle, il devient khaï – at, c’est à dire « vivant – toi ».

Ainsi donc, le sauvage a besoin d’un Autrui pour apparaître.

Dans le même temps, cet autrui peut avoir tous les visages, toutes les formes, tous les accents ; il peut être écrit par toutes les lettres, composé de tous les mots. En effet, relisant khaï – at, il apparaît que <at>, est formé de la première <a> et de la dernière <t> lettre de l’alphabet hébraïque.

De fait, le sauvage, ce n’est pas du vivant … c’est le vivant … de A à Z

Il sait qu’il est connaturel à tout le vivant : il y a les fleurs sauvages, la grève sauvage, le territoire sauvage, l’affichage sauvage, ou encore le camping sauvage, le jardin sauvage, l’animal sauvage, la soie sauvage, le miel sauvage, la truite sauvage, … et le vrai sauvage, le bon sauvage de Rousseau … etc.

Montaigne affirme à propos des cannibales : « Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que la nature a produits ».

Il est celui qui, sans autrui, ne sait pas qu’il sait.

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