Dans la tourmente …

27 août 2015 Commentaires fermés sur Dans la tourmente …

Depuis l’entretien de Catherine Redelsperger avec Vincent Mignerot dans la dernière livraison de la revue Opossum, nous sommes nombreux à être sensibilisés à cette « réflexion globale, déconflictualisée et aussi simple que possible sur l’existence » que Vincent Mignerot développe dans son livre Le piège de l’existence.

Sa « théorie écologique de l’esprit » affirme, pour faire court, que « nous participons à un processus destructeur (de notre environnement, processus aujourd’hui d’ailleurs inéluctable), mais ça n’est pas de notre faute, et, contrairement à ce que nous croyons parfois, nous n’y pouvons rien ».

Bref, nous allons tout droit à la catastrophe.

Certes, Vincent Mignerot a prévenu que « l’extinction de l’espèce est pensée à partir du temps qu’il reste … à compter de ceux qui seront les prochains ». Ouf ! Quelle chance. Nous ne sommes donc pas concernés !

Mais, juste par curiosité, juste pour savoir … si nous étions tout de même au cœur de la tourmente, quelle tête ferions-nous ??

Et je trébuche sur ce texte de Marcel Légaut, paru en 1980.

« Plus l’homme accroît ses connaissances sur le Monde de la matière et de la vie dont il est issu, d’un Monde qui se révèle à lui d’une immensité sans bornes dans le temps et l’espace, plus il se découvre infime et éphémère. C’est au point que nulle image ne peut lui en donner l’idée, bien que les anciens, devant la brièveté de leur vie et la précarité de leurs moyens, s’y soient souvent efforcés dans les écritures qu’ils ont laissées.

Contrairement aux rêves où l’homme s’est laissé aller jadis, inspirés par son instinct vital et sous l’emprise de sa puérilité, ne serait-il pas simplement un phénomène accidentel de conscience de la plus extrême improbabilité, un phénomène en lui-même privé de sens dans un univers dont la seule raison d’être est d’exister ? Et de même qu’à travers les milliers d’années-lumière, nous voyons les astres naître puis s’éteindre, continuant à suivre immuablement leurs trajectoires d’errance dans un espace démesuré de silence et de vide, notre humanité ne va-t-elle pas elle aussi, après une émergence relativement récente, disparaître à son tour et laisser la terre, après une brève présence de quelques activités de vie puis de conscience, redevenir une matière de nouveau inerte, jusqu’au moment où une autre émergence de vie et peut-être de conscience apparaisse ailleurs pour ensuite disparaître à son tour ?

Tel est le doute crucial que tout homme doit affronter s’il a le courage de regarder le réel tel que maintenant celui-ci se manifeste objectivement à lui grâce à ce que les sciences lui en montrent, un réel d’une radicale inhumanité, soumis à une loi de fer qui semble lui être consubstantielle et être la condition même de son existence.

Ce doute ne prend-il pas l’homme à la gorge d’une façon encore plus directe quand celui-ci se trouve aux prises avec les bouleversements de l’histoire, convulsions dont la puissance l’emporte comme fétu de paille, le déracine de tout un passé, détruit devant lui tout avenir, broie sa destinée, l’enterre encore vivant dans le cimetière innom­brable des oubliés définitifs? L’approche de sa propre mort, lorsque l’homme en a une conscience que nulle autodéfense ne vient tempé­rer – l’infinie résignation en est une, l’ultime – ou encore la dispari­tion définitive d’un être que l’homme a aimé au point d’avoir puisé en lui sa raison de vivre, l’induit à donner à ce doute la violence du vertige qu’aucune raison ne peut dominer.

Même la foi nue, enra­cinée au plus profond de l’homme par ce qu’il a vécu longuement, fidèlement, peut-elle tout à fait prévaloir à ces heures suprêmes ? Combien cherchent, non pas à prendre le dessus sur ce doute radical mais à y échapper, afin de ne pas connaître la désespérance absolue qui, si elle était vécue dans sa radicalité, rendrait la vie cruelle, absurde, impossible… Et combien, au nom de la foi, se bornent à s’évader dans des rêves de parousie ou à s’absorber dans des visions apocalyptiques, rêves et visions qui les fascinent et les hypnotisent par leur caractère extrême ! »

(Marcel Légaut Devenir soi et rechercher le sens de sa propre vie <page 13ss> Ed. Aubier 1980)

Les commentaires sont fermés.

Qu’est-ce que ceci ?

Vous lisez actuellement Dans la tourmente … à Benoit Heitz.

Méta